Au cours des dix dernières années, L’Arche a noué des liens avec la Société de soutien au développement d’Elmira (Elmira Developmental Support Corporation – EDSC) afin d’apprendre comment celle-ci procède pour offrir un «logement abordable avec service de soutien» aux personnes ayant une déficience intellectuelle et d’échanger sur notre vision et notre expérience.

La rangée de calèches noires au marché des producteurs agricoles d’Elmira est un indice que ce village ontarien, bien que situé à seulement 127 kilomètres de Toronto, est déjà un autre univers. Avec sa population d’un peu plus de 10 000 personnes et plusieurs communautés mennonites de l’Ordre Ancien, c’est à première vue un petit village reculé et pittoresque. Mais Elmira se trouve dans la région de Waterloo, où les valeurs communautaires traditionnelles rencontrent les idées novatrices des secteurs technologique et universitaire. Il n’est donc pas surprenant que cette région ait donné naissance au Tamarack Institute, un « fer de lance de la transformation communautaire » basé à Kitchener, et que des immeubles d’appartements destinés aux personnes ayant une déficience intellectuelle et à leurs « voisins attentionnés » à Elmira figurent dans la Stratégie nationale relative à l’habitation comme un modèle de logement inclusif..
Field of Dreams painting par Dorothy Reed
S’inspirer d’Elmira
Il y a quelques années, des membres de L’Arche Ontario rendaient visite à Greg Bechard, chef de l’EDSC, une société à but non lucratif fondée par Vie communautaire du district d’Elmira (Elmira District Community Living – EDCL). Nous voulions en savoir plus sur Snow Goose, le premier habitat créé par l’EDSC pour répondre aux rêves des personnes qu’ils soutiennent, d’individus et de leurs familles qui recherchaient un logement offrant une vie plus autonome, sans sacrifier la sécurité et les liens avec la communauté.
Nous avons été impressionnés par cet immeuble de quatre logements bien intégrés dans un quartier de classe moyenne. Nous avons adoré leur vision basée sur la création de liens d’amitié et de communauté entre des personnes ayant une déficience intellectuelle vivant dans des appartements individuels ou partagés (avec le soutien de leur famille ou d’un organisme) et des étudiants universitaires (bénéficiant d’un loyer réduit et de bourses) qui s’engageaient à devenir des « voisins attentionnés ». Nous avons affirmé l’importance des repas et des célébrations en commun ainsi que des soutiens mutuels informels entre voisins. Nous étions admiratifs devant l’esprit entrepreneurial et fonceur de l’ESDC, qui l’a aidé à trouver une réponse novatrice et durable aux rêves et aux besoins des personnes ayant une déficience intellectuelle et des étudiants intéressés à participer.
Au cours des années suivantes, L’Arche Ontario a invité Greg ainsi que d’autres créateurs de modèles de logement innovants pour les personnes ayant une déficience intellectuelle à une journée de réunions de son C.A. L’Arche a consulté Greg, alors qu’elle s’engageait dans son initiative de développement, tandis que l’EDSC poursuivait son développement avec un projet de plus grande envergure appelé Field of Dreams, basé sur les apprentissages de Snow Goose (à l’heure actuelle, Field of Dreams se compose de trois des quatre immeubles de sept logements prévus à l’origine). L’année dernière, Greg a invité L’Arche à participer à sa réflexion sur l’approche des « voisins attentionnés » dans la création de logements inclusifs.
Écouter et réfléchir sur l’expérience vécue
Le samedi 29 septembre 2018, nous avons assisté au « Sommet des amis et voisins attentionnés » de l’EDSC en compagnie de Toinette Parisio, responsable régionale de L’Arche Ontario, Marietta Drost, responsable de la communauté de L’Arche London et Karla Wilker, coordonnatrice de la vie communautaire à Stratford. Ce sommet réunissait 60 personnes qui ont échangé et appris ensemble. Outre les locataires ayant une déficience intellectuelle, leurs voisins attentionnés, les membres des familles et le personnel d’EDCL, des représentants d’agences étaient présents pour explorer un modèle de soutien de « communauté intentionnelle » pour les personnes ayant une déficience intellectuelle.
Bien que tous les participants aient pu apporter leur contribution, la journée avait pour objectif principal d’écouter les résidents de Snow Goose et Field of Dreams et leurs familles. Il était très inspirant d’entendre leurs histoires. Il est clairement apparu qu’ils accordaient une valeur fondamentale à l’indépendance, à la liberté et au libre choix. Voici quelques-uns des témoignages figurant dans le rapport :
- Ma maison, mes règles…
- J’ai le choix : je décide quoi manger et où aller.
- Je me sens plus indépendant. Je peux faire plus que lorsque je vivais chez mes parents.
- J’aime vivre de manière autonome, j’aime explorer la ville et prendre le bus; ça me rend également plus indépendant.
Cependant, comme mentionné dans Construire des logements favorisant l’inclusion, « la transition à la vie autonome, si elle n’est pas accompagnée d’un soutien à l’appartenance et à l’inclusion, laisse de nombreuses personnes seules et isolées » – et vulnérables. Certaines des personnes vivant dans les appartements de l’EDSC avaient précédemment vécu cela dans d’autres logements :
- J’avais beaucoup de problèmes avec les voisins… ils venaient frapper à ma porte à toute heure, toujours pour emprunter quelque chose. Ici, j’ai de meilleurs voisins, et je n’ai plus ce problème.
- Je ne connaissais pas vraiment mes voisins là où je vivais auparavant; j’aime le fait de me sentir plus en sécurité et de créer des relations avec mon voisinage.
C’était une préoccupation majeure des parents lors de leur recherche d’un foyer pour leurs enfants adultes, où ceux-ci pourraient jouir d’une plus grande indépendance en toute sécurité. Ils ont exprimé leur gratitude. L’un d’eux a déclaré : « Si nous avions à trouver notre propre idée de ce que nous voulons pour notre fille, ce serait exactement ça. Elle peut vivre sa vie comme elle l’entend, mais dans une communauté où elle est en sécurité. »
Le concept des « voisins attentionnés » consiste à créer une communauté intentionnelle : inviter proactivement des personnes sans déficience qui recherchent un logement abordable où elles peuvent faire partie d’une communauté, non pas pour devenir fournisseurs de services, mais pour tisser des relations d’amitié, d’appartenance et de soutien mutuel. Lors du sommet, nous avons entendu des voisins attentionnés – ayant ou non une déficience intellectuelle – parler des joies de leur vie commune : faire connaissance au fil du temps, partager des repas et des barbecues, célébrer des anniversaires, se saluer à la porte d’entrée et tout simplement passer du temps ensemble. Et nous avons vu leurs paroles se convertir en actions par l’ambiance bon enfant, la tendresse et les soins mutuels qui se manifestaient non seulement entre les personnes ayant une déficience intellectuelle et leurs voisins attentionnés, mais aussi avec leurs pairs et les familles les uns des autres.
Nous avons entendu comment plus d’indépendance et de choix, la sécurité, l’amitié et un rôle valorisé dans la communauté créaient un environnement propice à la croissance personnelle. Nous avons écouté les gens parler des nouveaux apprentissages qui accompagnaient leurs responsabilités grandissantes envers eux-mêmes, leur voisinage et leur vie en commun – et la fierté que cela leur faisait ressentir. Cela ressemblait beaucoup à ce que nous avions entendu des membres des Suites Vanier de L’Arche Comox Valley. Ce sont des éléments essentiels d’une communauté dynamique et d’une société plus humaine.
La question des ratios
La longue histoire de ségrégation et d’institutionnalisation des personnes ayant une déficience intellectuelle et la lenteur des transformations systémiques ont conduit à ce que l’EDCS qualifie de « perspectives polarisantes sur la manière dont les services doivent être planifiés et fournis. Il existe une école de pensée affirmant qu’un arrangement en matière de logement qui dépasse le ratio de 1:10 de personnes ayant une déficience intellectuelle, par rapport à celles qui n’en ont pas, constitue essentiellement une ré-institutionnalisation des personnes ayant une déficience intellectuelle. »
De toute évidence, ce n’est pas la perspective adoptée par l’approche des voisins attentionnés à Elmira. Le respect de ce ratio, ou même d’un ratio proche, rendrait impensable de construire des logements pour plus de quelques personnes ayant une déficience intellectuelle. Il était important de tenir cette discussion lors du sommet, où cette idée a été rejetée par l’immense majorité. Les gens ont parlé de leur sens du chez-soi, de la liberté et de l’indépendance, de leurs relations, d’une vision forte et de l’expérience de la vie en communauté intentionnelle, de la beauté des immeubles, avec leurs espaces communs et leur intégration dans le voisinage – tous des signes qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle forme d’institution.
Ce qui nous a le plus frappé, c’est qu’au fil du temps, un vaste réseau de « voisins attentionnés » s’est développé – des personnes avec et sans déficience intellectuelle vivant dans les immeubles, ainsi que leurs familles, leurs amis et d’autres membres de la communauté d’Elmira. Ceux qui veulent parler de ratios devraient peut-être y inclure toutes les personnes dans ces réseaux sociaux dynamiques. Cette communauté intentionnelle a commencé comme une réponse aux rêves et aux besoins d’un certain groupe de personnes, mais exerce maintenant un impact bien plus large dans la localité.
Apprentissages en cours sur le logement inclusif
Le rapport sur le sommet tire quelques conclusions sur le succès de ce nouveau modèle : Quels sont les ingrédients clés de son succès ?
- Le concept des voisins attentionnés bénéficie d’une vision claire (et beaucoup de planification a été nécessaire pour y arriver).
- Le processus de sélection des personnes qui y vivraient était bien planifié et exécuté (et était subordonné à l’engagement envers la vision).
- L’architecture sociale, dont l’EDSC a fait un usage très efficace : l’aménagement physique du bâtiment favorise la socialisation entre les unités et via l’utilisation des espaces communs.
- Et sans surprise, puisque la réussite d’une initiative repose souvent sur les personnes occupant des rôles clés : les voisins attentionnés eux-mêmes.
Comme les Suites Vanier, ce modèle ne s’adresse pas à tout le monde. Une bonne part de son succès repose sur les personnes ayant une déficience intellectuelle, qui sont capables de vivre de manière relativement autonome et sur les voisins attentionnés, qui sont très attachés à la vision, en bénéficient eux-mêmes et reçoivent un fort soutien de la communauté. Cette initiative est un élément important du patchwork (pour emprunter une image mennonite) d’options de logement inclusives qui doivent être développées dans une grande variété de formes, de tailles et de couleurs pour refléter la diversité des individus et des communautés auxquelles ils appartiennent et offrent leurs contributions.
Apprenez-en davantage sur Field of Dreams dans cette vidéo : https://youtu.be/Ay5uTdE8TZU
Lire le rapport (en anglais) ici : https://communitylivingontario.ca/wp-content/uploads/2019/02/Good_Neighbours_Report_w_Appendix_Jan_2019.pdf