Le projet Sage and Time

Faire de l’art communautaire libère la créativité et crée des ponts entre les aînés et la communauté de Sudbury.

Par John Guido

Paulette Audette était une femme déterminée. Issue d’une institution, elle a été accueillie à L’Arche Sudbury, où pendant 30 ans, elle a été un pilier de la communauté, a accumulé trois boulots et été bénévole dans une soupe populaire. Ralentie par des problèmes de santé, elle ne voulait plus travailler, néanmoins elle était déterminée à faire quelque chose de significatif durant sa retraite. Mon amie Paulette est décédée en octobre 2018, mais pas avant d’avoir aidé au lancement du projet d’art Sage and Time.

Bien entendu, Paulette n’était pas seule; Audrey, Eddy ainsi que d’autres personnes vieillissantes étaient confrontées à des besoins grandissants ainsi qu’au manque d’options concernant des activités significatives. Pour beaucoup, l’intersection entre le vieillissement et la déficience intellectuelle est une période qui mène à l’isolement et au manque d’épanouissement. Cependant, les personnes âgées de L’Arche Sudbury ont des amis et des compagnons qui ont su les entendre et saisir leurs enjeux. Ils ont commencé à rêver d’un projet construit autour de la création d’art, qui pourrait créer une meilleure voie à suivre.

Sage and Time, (littéralement : Le temps et la sauge) est un très bon nom pour ce projet, la sagesse venant avec l’âge; et le titre suggère d’ailleurs l’aspect bénéfique des herbes aromatiques qui apportent de la saveur au repas que l’on partage, un petit zeste de notre vie ensemble. Ces mots me rappellent Paulette, Audrey, Eddy et bien d’autres personnes âgées parmi mes amis. Les anciens chez les autochtones nous racontent que la sauge est brûlée pour purifier, guérir et nous rappeler le Créateur qui se déplace à travers tout. C’est aussi l’objet de ce projet.

Concevoir un projet pour faire une différence

Répondre aux besoins changeants et aux rêves de ses membres est un élément clé de la mission de L’Arche. En fait, cette capacité est si bien développée que pour fonctionner, elle ne laisse pas beaucoup de place à la force opposée de la planification à long terme. Mais aujourd’hui, il y a un décalage des cultures qui se crée à L’Arche, à mesure que nous équilibrons de plus en plus notre don de répondre aux personnes avec les pratiques de changement stratégique.

Avec le projet d’art Sage and Time, L’Arche Sudbury est devenue un leader dans l’approche de planification stratégique axée sur la personne. Afin de recevoir la subvention du programme Nouveaux Horizons pour les aînés (d’Emploi et Développement social Canada), le projet « devait être dirigé ou inspiré par des aînés » et répondre aux objectifs du programme, tels que le bénévolat des aînés, le parrainage et l’inclusion sociale. Ils ont atteint tous ces objectifs et bien plus.

L’Arche Sudbury a conçu un projet artistique d’une durée d’un an où chaque morceau s’assemble parfaitement pour produire les effets attendus avec plus d’impact. Chaque mois :

  • Des artistes (surtout des aînés, des professionnels ou des amateurs passionnés) avec de riches connaissances et une vaste expérience de la vie ont animé des sessions de groupe en utilisant différents moyens tels que l’aquarelle, le papier mâché et l’écriture de chansons.
  • Chaque œuvre a exploré un thème différent comme la santé, les cultures franco-ontarienne et autochtone, la commémoration, l’accueil ainsi que l’abus et la réconciliation.
  • Les groupes étaient intergénérationnels avec des personnes de tout âge, allant des jeunes enfants aux aînés et incluant des personnes avec et sans déficience intellectuelle.
  • Différents groupes de toutes les couches de la société y ont participé, de la maternelle aux Olympiques spéciaux, en passant par les membres du régiment irlandais (250 artistes au cours de l’année).
  • Chaque artiste a exploré sa propre expression de la créativité, tout en contribuant à la création d’une grande et même œuvre collective.
  • Plus de 60 aînés et autres volontaires ont aidé à différentes tâches telles que cuisiner de la soupe ou nettoyer des pinceaux.
  • Les membres du groupe mangeaient tous ensemble, se nourrissant d’aliments et de fraternité, aussi bien que de la créativité de réaliser une œuvre collective.
  • Chaque œuvre d’art collective a été photographiée et imprimée par un photographe professionnel, puis encadrée, et
  • chaque photographie a été exposée dans différents espaces communautaires de la collectivité : un centre pour personnes âgées, une école, une église, un centre culturel, une unité de santé publique, un hospice, les bureaux du maire, du député provincial et du député, une base militaire et l’aéroport (en tout, elles ont été vues par environ 10 000 personnes).

En mars, les photographies ont été réunies et une exposition (incluant les œuvres originales) s’est tenue dans un centre de la communauté, près de Science North donnant sur le magnifique lac Ramsey. Une soirée de gala et une vente d’art ont attiré une foule variée d’amis anciens et nouveaux pour apprécier l’art et s’en inspirer, pour célébrer le succès du projet et pour recueillir des fonds afin de le rendre durable.

Créer de l’art construit des rapprochements

Dès le début, ce projet portait sur les relations sociales. Comme Audrey adore les enfants, un projet avec une école primaire était essentiel. Mme Beaton (Kelly), l’enseignante, dit : « Il y a une ouverture avec les enfants ainsi qu’avec beaucoup de personnes ayant une déficience intellectuelle. On n’a pas besoin d’abattre des murs. Immédiatement, tout le monde s’occupait de faire de l’art. Chaque personne avait sa propre partie et elles se sont présentées toutes ensemble. » Dès que les enfants ont vu une silhouette dans un fauteuil roulant, ils ont su que c’était pour Audrey et ils étaient désireux de la voir réaliser sa partie.

Lors d’une autre session, ce sont des ecoles secondaires qui ont participé. Une adolescente de 15 ans était intriguée par un des aînés; elle a demandé : « C’est ok, si je parle à Eddy ? » Peu de temps après, ils étaient en train de parler de leur amour commun pour les Maple Leafs de Toronto et pour l’Île Manitoulin. Ils ont créé de l’art, mais ils ont aussi créé un lien au-delà des différences d’âges et de capacités entre eux. Pat Montpetit, aîné bénévole et membre de longue date du conseil d’administration de L’Arche, l’explique de cette façon : « c’était super, tout le monde était sur le même pied. Et nous passions du bon temps tous ensemble ».

Observations de certains artistes animateurs

L’artiste Ruth Reid qui a animé « Butterflies » a dit, « Pour moi, l’aspect le plus excitant était de voir à quel point l’art rassemble les personnes. Elles disaient : ‘Quelle couleur utilises-tu ?’ Et puis elles rigolaient et disaient : ‘Ma feuille est violette.’ Et quelqu’un disait : ‘Il n’y a pas d’arbres violets !’ Et cela commençait cette merveilleuse conversation, et rigolade et connexion et relation. Il n’y a pas de mauvaise ou de bonne façon de faire de l’art… C’est simplement une expression qui vient du cœur. »

Kim Mullin qui a animé « Family Day » dit : « Chaque personne s’est peinte comme une fleur, chacune unique, mais faisant partie du grand et magnifique jardin de L’Arche. Peu importe qui tu es ou d’où tu viens, chacun a sa place, chacun est accueilli. Les membres ont de la joie et ne sont plus centrés sur eux-mêmes. J’essaie toujours d’amener les artistes à lâcher prise. Avec L’Arche, ce n’est pas nécessaire, c’est la liberté dès le début. Lorsque les gens vivent dans un environnement d’acceptation et de non-jugement, ça les rend plus ouverts et créatifs. »

Carolyn Ludgate qui a animé « Words of Wisdom » a écrit : « Une des intentions du projet d’art Sage and Time est d’inviter les membres de la communauté de Sudbury à participer… Les Senior Sudbury Rising Stars ont réalisé un sketch intitulé ‘Positive attitude’, qui a été une façon très plaisante d’introduire une discussion de groupe… Je leur ai demandé de réfléchir à ce qui leur donnait de la joie et aux conseils qu’ils donneraient à d’autres… Les œuvres étaient vraiment belles et les mots étaient inspirants. »

Andrew Lowe qui a animé l’écriture de la chanson « Sage and Time » dit : « Tout a coulé à merveille. On était tous en harmonie, donc on a tous pu travailler à l’écriture des paroles… Remarquablement, les idées venaient de manière abondante et rapide… On avait fini après quatre heures d’atelier, l’idée de base de la chanson et du refrain. Le plus important a été le fait que tout le monde a contribué. Je savais qu’on pouvait obtenir quelque chose, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi bon. »

Les aînés font une différence

Dans sa lettre de félicitations, l’honorable Filomena Tassi, ministre des aînés, a écrit : « Par l’entremise du programme Nouveaux Horizons pour les aînés, le gouvernement canadien s’engage à aider les aînés à profiter de la qualité de vie dans leur communauté et à y contribuer par une vie active et la participation à des activités sociales. C’est pourquoi je suis si fière que le gouvernement canadien appuie des organismes comme L’Arche Sudbury. Parce que quand les aînés sont invités à participer à tous les aspects de la société, tout le monde en bénéficie. »

Le programme Nouveaux Horizons pour les aînés est un bon atout pour L’Arche parce que nous savons le pouvoir d’amitié et d’appartenance, d’accueil des dons de la différence et d’inclusion de tous, en tant que valeureux contributeurs. Nous avons besoin de créer des espaces et de construire des partenariats qui rassemblent des personnes qui sont différentes, afin que cette vision prenne racine pour davantage de personnes. Darrell Marsh, le directeur du programme qui a organisé le projet d’art Sage and Time, l’a résumé de cette façon : « Cela démontre la force du travail collectif, indépendamment de l’âge ou de la capacité. Il y a beaucoup de puissance en cela. »